Des mots pour résister
Le langage a toujours ceci d’insatisfaisant qu’il permet rarement de relier les mots aux choses. Vouloir dire, raconter, décrire, c’est se heurter à l’incapacité que l’on a d’être en adéquation avec le réel. Par quels mots peut-on vraiment témoigner de l’oppression ? L’injustice se vit, se ressent, s’inscrit dans les esprits et dans les chairs, en aucun cas elle ne peut trouver son équivalent verbal. Les mots sont en deçà ou au-delà du réel ; jamais ils ne collent à lui. Le mot est toujours imparfait, il ne rend pas justice à la réalité des faits.
Les poètes sont seuls en mesure de transporter les mots sur les ailes du sens. Comme les alchimistes ne se satisfont pas de la matité du fer et veulent lui donner l’éclat du soleil, les poètes transmutent le malheur en paroles de feu. Par l’alchimie du verbe, ils extraient de la boue et ils en font de l’or.
Ne pas accepter la fadeur du langage, c’est entrer en poésie. C’est mordre les mots et faire suer les sons. Il ne s’agit pas de dire le réel mais d’en donner idée. Tout le monde sait que des peuples souffrent, mais lorsque la poésie s’empare de cette souffrance, on la sent. Ce n’est plus de l’ordre de la connaissance mais de cette empathie particulière que seul l’art est en mesure de créer.
Ne pas accepter la laideur du réel, c’est entrer en résistance. C’est chasser l’occupant et faire tomber les murs. C’est combattre sans cesse celui qui nous condamne à mort. C’est présenter sa carte d’identité à celui qui veut nous rayer des cartes. Face au silence coupable et aux paroles mensongères, la résistance à l’agression rappelle au monde entier qu’un peuple ne meurt pas. Résister c’est exister. C’est vivre, enfin.
Le poète se bat contre l’ordre des mots. Le résistant se bat contre l’ordre colonial.
Lorsqu’un peuple prend les armes pour se libérer, comme en ces temps mythiques chantés par les prophètes, les mots sont alors en accord avec les choses. Ils ne forment plus qu’un.
La poésie, c’est de la résistance.
La résistance, c’est de la poésie.
En paroles ou en armes, la Palestine est la patrie moderne des poète